The Dark Eye, dans les cauchemars d'Edgar Poe

Le CD ROM voit le jour en 1985, mais c’est dans les années 90 que le petit disque de plastique va réellement prendre son essor. Compact et pas cher, ce support permet alors de stocker 650 Mo de données ! Une capacité ÉNORME pour l’époque, qui ouvre la voie à toute une génération de jeux d'aventure “réalistes” et cinématographiques, où des acteurs filmés sur fonds verts évoluent dans des décors en 3D précalculée. 

Si quelques titres réalisés avec cette technique sont rentrés dans la légende (The 7th Guest, Myst, Phantasmagoria... j'en oublie sans doute), il y a aussi eu pas mal de déchets, d’expérimentations et de produits trop bizarres pour trouver un public. Dans ce petit musée de l’étrange, The Dark Eye tient une place de choix. Ce jeu d’aventure développé en 1995 par le studio americain Inscape donne vie à plusieurs nouvelles de l'écrivain Edgar Allan Poe, sous la forme d’un point and click en vue subjective. 


Qui a éteint la lumière?

S’il existait une échelle de mesure du glauque, The Dark Eye en crèverait le plafond. L’oeuvre d’Edgar Poe incarne déjà le côté le plus sombre d'une littérature anglaise pas franchement réputée jouasse. Sous sa plume, tout le monde sombre dans la folie et/ou meurt de façon horrible. Un vrai carnage ! Et les développeurs d'Inscape vont en rajouter une couche, avec des marionnettes sinistres qui tiennent lieu de personnages. Orbites vides, teint blafard, gestuelle inquiétante en stop motion… Ces monstres à l’allure vaguement humaine ne font même pas l’effort de camoufler leur folie. 

The Dark Eye Edgar Poe

Au lancement du jeu, le menu principal nous invite à saisir notre nom pour participer à une étude phrénologique. Après quoi, William Burroughs (auteur americain notoirement cintré, à qui l'on doit notamment Le Festin Nu) se fend d'un monologue sur les événements à venir. On a connu plus rassurant.

La structure même du jeu est déroutante : Dans une maison délabrée en bord de mer, une intrigue familiale tisse un lien entre plusieurs nouvelles de Poe. Certaines sont de simples cinématiques où un narrateur récite les oeuvres (Le Masque de la mort rouge et Annabel Lee), d’autres nous proposent carrément de vivre les récits en prenant tour à tour la place du bourreau, puis de la victime. Y a pas de jaloux ! On découvre avec cette sympathique formule trois grands classiques : La Barrique d'Amontillado, Le Cœur révélateur et Bérénice. Dans ces moments purement cauchemardesques, l’immersion est incroyable. 

L'adaptation du Coeur Révélateur est clairement le point culminant du jeu. La nouvelle est déjà, à la base, l'une des plus efficaces de Poe. Un huis clos, deux personnages, dont un qui sombre dans la folie. Le cadre est minimaliste, mais permet à l'auteur d'explorer toute la noirceur de l'âme humaine. Transposée à l'écran, cette histoire piège carrément le joueur dans une situation moralement insoutenable.

The Dark Eye Gameplay

Pourtant, d’un point de vue ludique, ce jeu est assez pauvre. Il n’y pas d'énigmes, ni d’enjeux (tout le monde meurt chez Edgar Poe, quoi qu’il arrive), juste une promenade inquiétante, d’un événement tragique à un autre, sur fond de poésie macabre. Ce qui donne sa force au jeu, c’est sa mise en image. Avec son univers fait de bric et de broc, The Dark Eye cherche la texture, le grain, le patchwork insolite… Un parti pris artistique à la Henri Sellick (L’étrange Noël, Coraline…) qui tranche radicalement avec les images de synthèse propres et lisses qui étaient la norme à cette époque. 

Le jeu se termine vite, mais ne s’oublie jamais. Les 2 ou 3 heures nécessaires à clôturer l’intrigue principale laissent leur lot de souvenirs tenaces et de détails dérangeants. Comme l’illustre bien Edgar Poe avec ses nouvelles de quelques dizaines de pages, il faut aller à l’essentiel, rechercher l’impact maximal et condenser l’histoire pour gagner en efficacité. En cela aussi, The Dark Eye est totalement cohérent avec l’oeuvre du maître.

The Masque of the Red Death

Potentiel de rejouabilité : 8/10

Précurseur des "Walking Simulator", The Dark Eye est un jeu dont l'intérêt repose à 100% sur l'ambiance. L'avantage avec cette formule, c'est que le gameplay ne vieillit pas beaucoup... Hé oui, forcément, il est inexistant :D Le jeu reste en tout cas très prenant, et d'une intensité rare pour un "simple" point and click.

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